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Journée nationale de réflexion sur le don d’organes et la greffe le 22 juin
A l’occasion de la journée nationale de réflexion sur le don d’organes et la greffe, le CHU de Lille – qui fait partie des centres nationaux autorisés pour le prélèvement d’organes – lance une campagne de sensibilisation vers le grand public, à travers le témoignage de proches.
L’équipe de coordination hospitalière rappelle que le don d’organe n’est envisageable que pour 1% des décès (accident de la route, AVC..) et, dans les Hauts-de-France, près de 40 % des familles refusent le don d’organes pour leur proche.
Si dans les textes nous sommes tous des donneurs d’organes potentiels dans la mesure où n’avons pas manifesté de refus de notre vivant, en réalité les centres hospitaliers recherchent systématiquement la non-opposition du défunt auprès de la famille avant tout prélèvement.
Alors, c’est important, donneur ou non, l’essentiel c’est d’en parler !
Un grand merci à J. et H., M. et S. d’avoir accepté de partager leurs ressentis en nous ouvrant leur cœur.
Découvrez leurs témoignages:
« Tu verras la mère, un jour tu seras fière de moi ».
La veille de l’accident, notre fils avait perdu sa carte bleue. C’est drôle comme parfois l’Univers peut vous faire des signes. Sans argent pour mettre de l’essence dans sa moto, il avait piqué dans le réservoir de la tondeuse. Sur une route de champs, pas éclairée, sans feu à son engin, il est tombé dans un fossé. Ce jour-là, il partait à l’anniversaire d’un copain. Un garçon à qui il donnait ses jouets en douce, dans notre dos, quand ils étaient mômes. Parce que le copain n’avait pas grand-chose à la maison.
Quand les pompiers l’ont pris en charge, il était à plusieurs centaines de mètres de l’accident. Encore conscient mais sonné. On ne sait même pas comment il a fait pour se traîner jusque-là et demander de l’aide. Les gendarmes nous ont réveillés au milieu de la nuit. Notre fils avait été plongé dans le coma mais on nous disait que ça irait. D’un coup, tout s’est affolé. Il allait être transféré au CHU de Lille pour tenter « le tout pour le tout ».
Déjà, dans la salle d’attente, nous y avions pensé. L’Univers encore. Quelques semaines avant cet accident, notre fils a débarqué dans la cuisine. À l’hôpital, j’avais (J.) l’impression d’entendre sa voix dans ma tête. « Maman, t’as vu de quoi on parle à la TV ! Du don d’organes. Moi je te le dis, je suis pour. Écoute-moi bien : je suis en forme, ils peuvent tout prendre sauf mes poumons parce que je fume ». Et il levait ses bras pour montrer torse nu son corps de jeunot.
En discutant avec les médecins, j’ai demandé s’il y avait même 1% de chance de le sauver. Son cerveau était trop endommagé. C’était une évidence, nous avons tout de suite dit oui avant même que les médecins nous posent la question.
Et si c’était nous, les parents du receveur ? J’ai (H.) tout de suite eu ce truc à l’esprit. Et puis, il était essentiel de respecter son souhait qui avait été très clair. Sinon, ç’aurait été comme trahir notre fils.
Jusqu’aux portes du bloc opératoire, nous l’avons accompagné, après plein de câlins et des je t’aime libérés. En repartant, on a eu l’impression d’avoir fait ce qu’il fallait, d’être allés jusqu’au bout. Cette nuit-là, c’est Laurent, un infirmier, qui nous a raccompagné jusqu’à notre voiture. Pendant tout le processus, il était là sans être là. Discret, réconfortant et très humble.
Dans notre petit village, la nouvelle s’est vite répandue. Un jour, une connaissance m’a balancé « Quel courage vous avez eu ! Moi j’aurai pas pu faire charcuter mon gosse ». J’ai (Jannick) tourné les talons. C’est super vexant : comme si on n’avait pas pris soin de notre fils. Il a été traité avec beaucoup de respect. Nous avons été bluffé par le travail des équipes médicales. Il n’y a pas un jour où nous regrettons d’avoir donné ses organes.
C’était un gosse avec un gros caractère, attachant et extrêmement généreux. Il nous a laissé une mission : en parler. Parce qu’en parler, c’est savoir pour l’autre. C’est pouvoir faire le bon choix. Dans des conditions dramatiques comme celles-ci, savoir c’est se décharger d’un poids.
Aujourd’hui nous sommes régulièrement en contact avec les infirmières coordinatrices pour prendre des nouvelles des receveurs. Afin de respecter la loi sur l’anonymisation, nous savons juste s’ils vont bien, s’ils sont encore en vie. C’est important pour nous. On aimerait tant recevoir un courrier, savoir que grâce à ce don, les receveurs ont pu faire quelque chose de bon dans leur vie. De petites choses simples comme se marier, avoir des enfants ou plus fou comme sauter en parachute, parcourir le monde. Il a donné son cœur, son foie et ses reins. Mais pas ses poumons, trop abîmés par l’accident. L’Univers décidément. Alors oui, je suis fière de mon fils.
Ma fille, c’est elle qui a décidé de partir. Et c’est encore très douloureux pour moi d’en parler.
Depuis ma séparation avec leur maman et mon remariage, je voyais peu mes enfants mais j’essayais de profiter pleinement du temps qu’on passait ensemble. Cela faisait plusieurs mois qu’on trouvait ma fille changée, mon ex-épouse et moi. Elle ne cessait de se regarder dans le miroir avec une obsession maladive. Je me souviens d’un jour où elle s’arrêtait systématiquement aux portières des voitures garées sur le trottoir. Dans les rétroviseurs déformants, elle inspectait son sourire. « Papa, on peut faire quelque chose pour mes dents ». Elle semblait épuisée par ses complexes.
J’ai du mal à mettre des mots sur ce qu’elle a fait. Disons qu’elle a mis fin à ses jours. J’étais en plein travail sur un chantier quand sa maman m’a prévenu. Là, le trou noir. J’étais tellement perdu que j’ai continué à bosser. Et c’est mon patron, au courant du drame, qui m’a demandé de partir pour rejoindre mes proches. Ma petite a été héliportée au CHU de Lille. Ils ont essayé de la sauver avec des séances d’oxygénation dans le caisson hyperbare. On s’est entretenus avec un médecin. Il fallait attendre cinq séances de caisson avant de se prononcer sur son état. Mon ex-femme, mes enfants et moi étions remplis d’espoir. Après trois jours, il n’y avait plus rien à faire pour elle. A cause de la pendaison, son cerveau avait été privé d’oxygène trop longtemps, les dommages étaient irréversibles.
Malgré ces terribles circonstances, je garde un doux souvenir des équipes soignantes. Ils ont tous été tellement bienveillants envers nous, envers ma fille. Je leur tire mon chapeau. C’est un travail fou. Sans leur écoute attentive, je ne sais pas du tout comment j’aurais réagi.
En vérité, je ne me souviens plus très bien comment les médecins nous l’ont annoncé, ni comment ils nous ont proposé le don d’organes. La maman de ma fille a révélé qu’elle était donneuse. Moi, ce n’est pas que je n’étais pas d’accord. Je n’étais pas prêt. Comment un père peut imaginer la mort de son enfant ? Comment se projeter dans le don de ses organes alors qu’on ne lui a même pas dit adieu ? J’ai simplement suivi sa volonté et je me suis mis en retrait.
Avec du recul, le don d’organes a été la meilleure décision qu’on a prise. Ma fille est toujours là. Elle vit à travers quelqu’un. Et même plusieurs personnes ! Elle a donné son cœur, son foie, ses reins et ses artères fémorales. J’ai su que plusieurs organes étaient destinés à la pédiatrie. Grâce à sa générosité, d’autres enfants continuent de vivre.
Je suis plutôt quelqu’un de réservé. Je n’aurais jamais imaginé que le destin des receveurs aurait eu autant d’importance à mes yeux. Une à deux fois par an, j’appelle Marie, l’une des infirmières coordinatrices. On papote pas mal et je prends des nouvelles de ceux qui vivent désormais avec les organes de ma fille. C’est ce qui me permet d’avancer. Si seulement je pouvais un jour recevoir une lettre. Pas forcément un merci. Simplement les connaitre un peu plus.
Je parle peu de ce qui s’est passé, encore moins du don d’organes. Dans ma famille, c’est un sujet tabou. J’ai l’impression qu’on ne n’écoute pas, qu’on ne me comprend pas. C’est grâce à mes enfants que je m’en suis sorti. Mon patron m’a beaucoup soutenu également.
Aujourd’hui, je porte ma croix. Je souffrirai le temps qu’il faudra. De douleur, de tristesse, de culpabilité surtout. Je pense à elle tous les jours. Avec ses frères et sœurs, on se remémore les bons moments passés tous ensemble. Ils me l’ont dit : ils seront donneurs aussi.
Mon oncle n’était pas censé passer chez ma maman ce jour-là. C’est lui qui l’a retrouvée, étendue au sol, inconsciente dans son salon. Elle avait 77 ans. Ce n’est pas tout jeune je vous l’accorde. Mais elle était encore très autonome et avait une telle soif de vivre.
Quand je suis arrivée au CHU de Lille, avec ma sœur et de mon frère qui débarquait en short et en claquettes directement de Martinique, j’ai d’abord prié le Seigneur pour un miracle. Des médecins nous ont reçu et nous ont expliqué qu’elle avait fait un AVC. Et que, malheureusement ils ne pouvaient plus rien faire pour elle. J’étais complètement assommée. Je ne pouvais plus regarder le monde. C’était trop de souffrance.
Peu après, quelqu’un est venu prendre les enfants de la famille pour les occuper. Nous nous sommes retrouvés une nouvelle fois face au médecin. Il n’a pas dit grand-chose. Juste ce qu’il faut pour comprendre que vu son état, elle était éligible au don d’organes. L’infirmière qui l’accompagnait ne disait rien. Elle était présente comme un filet de sécurité. Puis on nous a laissé souffler un peu.
Ma sœur et mon frère avaient besoin de temps. Mais moi, j’avais pensé au don d’organes avant même qu’on nous le propose. Cette annonce était un signe providentiel. Mes prières n’avaient finalement pas servi à rien. C’est drôle mais j’étais comme soulagée. Sa mort avait un autre sens.
J’ai dit oui tout de suite. Pourtant ma mère n’a jamais une seule fois dans sa vie verbalisé son souhait de donner ses organes. Dans notre culture, ça ne se fait pas. On garde pour soi ses secrets, ses désirs. On est très pudique. Ma maman d’ailleurs affichait toujours un sourire de façade même quand ça n’allait pas. C’était une personne très généreuse. Un trait de caractère qui n’a fait qu’accélérer la décision pour le don d’organes.
Là où j’ai un peu plus halluciné c’est quand on m’a parlé de don de peau. Je ne savais même pas que cela existait. De façon très pragmatique, j’ai répondu que ma mère avait la peau noire et qu’elle ne pouvait pas donner à tout le monde. Mais c’était possible. Ne trouvez-vous pas que c’est une belle leçon de vie ? Noir ou blanc, la couleur est comme l’épiderme : superficielle.
Le temps filait. On s’est retrouvés une dernière fois autour d’elle, en famille pour lui dire adieu. Ça y allait dans tous les sens ! On faisait un boucan monstre. Toute la famille proche est venue. On s’est même surpris à rire à plusieurs reprises. Il était temps de l’emmener. Au retour du bloc opératoire, nous avons récupéré notre maman. Elle avait un visage très apaisée. Désolé de rentrer dans les détails mais elle était nickel ! Son corps avait été traité avec le plus grand respect.
Nous l’avons préparée, habillée, parée de bijoux en or comme c’est la tradition en Martinique. Une dame est même venue lui faire une manucure. Jusqu’au bout elle est restée coquette. C’est dans cette église sur la photo que nous lui avons rendu un dernier hommage et qu’elle a rejoint le Seigneur.
Elle a donné ses reins, sa cornée et sa peau. Je ne sais pas ce qu’il advient aujourd’hui des greffés. Cela ne me regarde pas. C’est entre ma maman et eux. Je prie pourtant tous les jours pour eux, en espérant qu’ils font du bien dans leur vie.
Le don d’organes m’a permis d’avancer, de faire mon deuil. Je ressens un immense apaisement. Ma mère est morte en faisant ce qui faisait sens dans sa vie : donner. Quelle chance elle a d’être partie comme ça ! À vous, les gens du CHU de Lille, je vous dis sincèrement merci. Je vous porterai toujours dans mon cœur.